vendredi 25 janvier 2013

L'ingrédient secret...



           
Chaque fois que Ben entrait dans la cuisine, il était intrigué par la petite boîte de métal placée sur l’étagère au-dessus du fourneau de Martha. Il ne l’aurait probablement jamais remarquée si Martha ne lui avait pas maintes fois répété de ne pas y toucher. Elle contenait, disait sa femme, une «herbe secrète» que sa mère lui avait donnée, et comme cette herbe était irremplaçable, elle avait peur que Ben ou quelqu’un d’autre ne prenne la boîte, l’échappe et répande son précieux contenu.

            Cette boîte n’avait rien d’extraordinaire. Elle était tellement vieille qu’une bonne partie des fleurs rouges et or qui l’ornaient à l’origine étaient presque effacées. On pouvait facilement deviner l’endroit exact où les doigts l’avaient saisie, encore et encore, pour la soulever et ouvrir le couvercle. Non seulement Martha avait-elle saisi la boîte de la même façon que sa mère et sa grand-mère, mais elle croyait que même son arrière-grand-mère avait utilisé cette boîte et son «herbe secrète». Tout ce que Ben savait, c’est que peu après son mariage, sa belle-mère avait apporté la boîte à Martha en demandant d’user de son contenu avec autant d’amour qu’elle-même l’avait fait. Et c’est ce que fit Martha, fidèlement. Jamais Ben ne vit Martha préparer un plat sans prendre la boîte sur la tablette et ajouter un soupçon d’herbe secrète». Même lorsqu’elle cuisinait des gâteaux, des tartes et des biscuits, il la voyait ajouter une petite pincée juste avant de mettre le tout au four. Quel que soit l’ingrédient qui se trouvait dans la boîte, Ben ne doutait nullement de son efficacité, car sa femme était pour lui la meilleure cuisinière au monde. D’ailleurs Ben n’était pas le seul à penser ainsi : tous ceux qui avaient goûté à la cuisine de Martha partageaient le même avis.


            Pourquoi donc ne permettait-elle pas à Ben de toucher cette petite boîte ? Craignait-elle vraiment qu’il en renverse le contenu ? À quoi ressemblait cette «herbe secrète» ? Chose certaine, elle était si fine que Ben ne pouvait en déceler la texture dans les plats qu’il mangeait. De toute évidence, elle en usait avec parcimonie puisqu’une fois l’herbe épuisée, on ne pouvait pas en obtenir d’autre.  Martha trouva cependant le moyen de faire durer le contenu pendant les 30 années de leur mariage, et toujours avec d’excellents résultats culinaires. Ben eut sans cesse l’envie de jeter un coup d’œil, ne serait-ce qu’une seule fois, dans la boîte, mais jamais il ne succomba à la tentation.

Puis, un jour, Martha tomba malade. Ben l’emmena à l’hôpital où on la garda pour la nuit. Une fois de retour chez lui, il trouva la maison désespérément vide ; jamais Martha n’avait passé une nuit à l’extérieur. Lorsque heure du souper approcha, il se demanda quoi préparer Martha aimait tellement cuisiner qu’il n’avait jamais pris la peine d’apprendre à préparer un repas.  Lorsqu’il se rendit à la cuisine pour voir ce qu’il y avait dans le réfrigérateur, la boîte de métal lui sauta immédiatement aux yeux. On aurait dit un aimant qui attirait son regard. Rapidement, il détourna ses yeux, mais la curiosité était trop forte.
Sa curiosité devint une obsession.    
Que pouvait-il bien y avoir à l’intérieur ? Pourquoi ne pouvait-il pas toucher la boîte ? A quoi ressemblait cette « herbe secrète» ? Combien en restait-il ?

            Ben essaya encore de regarder ailleurs. Il souleva le couvercle d’une grosse cloche à gâteau qui se trouvait sur le comptoir de la cuisine. Dieu soit loué ! Il restait la moitié d’un des fameux gâteaux de Martha. Il découpa un généreux morceau et se mit à table. Avant d’avoir pris deux bouchées, son regard se planta de nouveau sur la boîte. Cela ne ferait de mal à personne s’il y jetait un coup d’œil ! Après tout, pourquoi Martha faisait-elle tant de cachotteries à ce sujet ?   
      
Ben avala une autre bouchée tandis qu’un débat faisait rage en lui : regarder ou ne pas regarder ? Il continua    de manger pendant qu’il y réfléchissait. Finalement, il céda à la tentation.     
Il traversa la cuisine à pas lents et saisit la boîte avec mille précautions, par crainte d’en renverser le contenu - une terrible éventualité. Il posa la boîte sur le comptoir et souleva délicatement son couvercle. Il avait presque peur de regarder ce qui s’y trouvait. Lorsqu’il put voir à       l’intérieur, il n’en crut pas ses yeux : le contenant était vide, hormis un petit bout de papier plié dans le fond.   
  
Il introduisit tant bien que mal ses gros doigts rudes dans la boîte de métal, puis il saisit délicatement le bout de papier par un coin et le déplia lentement sous la lumière de la cuisine. Quelques mots étaient gribouilles sur le papier. Ben reconnut immédiatement l’écriture de la mère de Martha. Ces mots disaient : «Martha, ajoute une touche d’amour à tout ce que tu fais.» 
        
La gorge de Ben se serra. Il replaça le tout et retourna tranquillement finir son morceau de gâteau. Maintenant, il comprenait pourquoi il goûtait si bon.   
       

Extrait de Bouillon de Poulet pour l’âme de la femme – Des histoires qui réchauffent le cœur et remontent le moral de la femme

5 commentaires:

  1. Merci pour ce partage. Très beau texte.

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  2. On attend à voir une boîte vide, mais le mot surprend. C'est une leçon de vie !

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  3. Je m'attendais un peu à la fin. C'est très beau. Et si vrai : il faut une touche d'amour à tout ce qu'on fait, sinon c'est insipide.

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